EMPREINTE DE RESILIENCE

par Sybilla

Le nombril m'a toujours intriguée depuis l'enfance... C'est le seul élément du corps, du physique, qui ne sert plus à rien une fois que nous sommes venus au monde... En somme, une impasse ! Mais cette impasse pourrait-elle être un pont qui nous relie ? J'ai décidé d'aller à la rencontre de 10 personnes, dont moi-même et de leur demander de me raconter une impasse qu'ils ont connue dans leur vie. De la somme de ces impasses, j'ai fait une exposition en 2016. Le nombril étant pudique et ne se montrant pas à tout venant, j'ai décidé d'enfermer ces nombrils pris à la Chambre photographique et en argentique dans des caisses rétro-éclairées. Les témoignages étaient diffusés. Le visiteur était invité à se baisser et à regarder les images à travers un trou à hauteur de nombril. Car il faut savoir faire preuve d'humilité pour s'intéresser à un autre nombril que le sien...


IMPASSE DE C.


J’étais à la fac. J’étais toute jeune, environ 19 ans. Et follement amoureuse d’un garçon. Je pensais qu’il allait quitter sa copine pour moi. Notre histoire avait l’air sérieuse. Nous avions tous les deux le même groupe d’amis. Un jour où ça devenait vraiment sérieux entre nous, la question de se mettre ensemble s’est réellement posée. Il ne pouvait pas quitter sa copine pour des raisons financières m’a-t-il dit. Quand j’ai compris qu’il ne la quitterait jamais, j’étais très malheureuse. On avait un ami commun, Valérian. Un gros piège… Nous avions une soirée prévue, tous ensemble avec tout ce groupe d’amis mais de fil en aiguille, il n’y avait pas d’appartement libre pour faire cette fête. Je propose donc mon sweet home… Au final personne ne peut venir… Sauf cet ami commun Valérian qui vient avec une bouteille… Je me retrouve seule avec lui. J’aurais dû dire non mais comme on faisait souvent la fête chez lui je n’ai pas osé. J’étais malheureuse, ma conversation avec mon petit ami datant du même jour, j’étais toute remuée. On a bu et Valérian tentait tout ce qu’il pouvait… Et moi j’étais tellement malheureuse je n’ai rien dit, je n’ai pas dit non…Je n’éprouvais aucune envie de coucher avec lui. On a couché ensemble. Le lendemain je me suis sentie répugnante, j’étais passive : que dire une fois que c’était fait ? Valérian en a parlé à tout le monde, c’était violent… Je me suis mise en colère. Bien sûr ce n’est pas un viol car je n’ai pas dit non. Mais si je n’avais pas bu, il ne serait pas arrivé à ses fins… La personne que j’aimais l’a appris et m’en a voulu… Notre « ami » avait déjà fait la même chose avec une autre fille. Même scénario… Elle s’était fait plaquée… Je me suis sentie sans caractère, humiliée avec un sentiment de saleté… Tout le monde, ce fameux groupe « d’amis » l’a su et l’a pris à la rigolade… Valérian ne comprenait pas le problème… Tout le monde était tellement bien dans ce groupe d’amis qu’ils ne voulaient pas d’histoires. Tout le monde fermait les yeux sur tout… Je pense qu’ils voulaient fuir coûte que coûte. Les fêtes en faisaient partie… Comme ça on oublie tout… J’ai le sentiment d’avoir laissé faire… C’est un évènement difficile de ma vie… Cela m’a appris à dire non… Dommage que cet évènement soit arrivé… J’ai l’impression que cette histoire m’a permis de devenir une femme et non plus une jeune fille naïve. Comment un garçon a-t-il pu faire de moi ce qu’il voulait ? Je me rappelle encore d’avoir eu sa tête proche de mon cou, de sentir l’humidité de sa peau, son odeur, comme un plan rapproché, un zoom… Finalement ce n’est pas si mal … Vivre un peu des choses violentes pour s’en sortir grandie…


IMPASSE DE G.


Aimer semble être le but de l’existence, son moteur… Mais parfois aussi la cause de grandes souffrances menant à une impasse dont la seule issue semble être la mort. J’ai été marié pendant 17 ans à une femme extraordinaire, ma meilleure amie, ma jumelle. Toutefois bien que j’aurais donné ma vie pour elle, j’avais le sentiment d’être dans un rôle, de porter un masque, de ne pas être moi-même. Ce sentiment d’être malhonnête. Ce rôle de mari, cette image que l’on donnait, je la vivais comme une imposture. J’étais devant un dilemme qui paraissait insoluble. Un choix : me retrouver, me libérer, enlever le masque en vivant ma sexualité mais en même temps faire souffrir l’être que j’aimais le plus, risquer de la perdre… Ou alors me renier, continuer à mentir, continuer à souffrir jusqu’à disparaître… Finalement c’est elle qui m’a sorti de l’impasse… me voyant dépérir, elle m’a libéré et laissé prendre mon envol. Aujourd’hui nous avons tous deux un nouveau compagnon, nous avons démarré une nouvelle vie, sommes tout les deux heureux, et surtout et toujours plus amis que jamais...


IMPASSE DE N.


Olivier et moi nous nous sommes rencontrés quand nous avions 15 ans, au lycée. J’étais allée voir un jour mes anciens copains du collège. Olivier était avec eux… Il est tombé immédiatement amoureux de moi… Depuis ce jour nous ne nous sommes plus jamais quittés jusque l’an dernier... Mon premier Amour… Nous nous sommes mariés à 25 ans. Il a fait sa demande, pour moi ce n’était pas primordial. Notre relation s’est construite peu à peu, au fur et à mesure. Etant jeunes nous arrivions à nous disputer puis tout s’est apaisé, construit. Nous avons grandi ensemble. S’il nous arrivait un sujet de discorde, celui-ci se terminait invariablement par un fou rire à la fin…Olivier, mon Ami, mon Frère… Nous avons tout vécu ensemble, nous avons voyagé ensemble, nous avons travaillé et créé des entreprises ensemble et ces dernières années nous passions 24 heures sur 24 ensemble. Nous avions décidé de ne pas avoir d’enfant parce que notre amour nous suffisait… Olivier était dévoré par une passion : voler… Il a passé son brevet de pilote alors qu’il avait 20 ans. Cette passion s’était assagie lorsque nous avions déménagé en Polynésie pendant 5 ans. Cela ne lui plaisait pas d’en faire là-bas… Lorsque nous sommes rentrés en France quelques années plus tard, le virus l’a repris. Il était littéralement dévoré, il n’y avait plus que cela qui comptait… A tel point qu’il avait créé une entreprise afin de mettre au point une application pour smartphones pour les pilotes, qui est toujours utilisée à ce jour. Olivier était devenu une référence en matière d’aéronautique. Puis il a découvert l’hélicoptère et est devenu encore plus accroc… Moi j’étais heureuse pour lui. Comment ne pas l’être face à l’être qui m’est le plus cher au monde ? Je l’accompagnais dès que je pouvais. Olivier avait pour habitude de dire « qu’un pilote se doit de voler accompagné ». Tout le monde avait droit à son baptême de l’air. La générosité caractérisait Olivier… En 2014 nous avons vendu notre entreprise et nous nous sommes dits qu’il fallait profiter de la vie. Olivier faisait de l’avion et de l’hélico encore plus. Dès qu’il pouvait voler il le faisait. Un meeting aérien se préparait dans la région. Il a participé activement à sa préparation. Ce meeting a eu lieu 21 jours après sa mort… Ce jour-là Olivier est parti pour voler aux alentours de 15 heures et m’a demandé si je voulais venir. Je n’avais pas envie, puis je me suis ressaisie avant de changer à nouveau d’avis… Il est parti, nous nous sommes embrassés. Olivier m’envoie des sms pendant le vol. Le dernier était le suivant : « resto ce soir ? on réserve ? pas avant 20h45 car je veux voler tard. » Je me suis habillée pour sortir ce soir. Mais il y avait un souci… Quand Olivier se posait il m’écrivait toujours un sms en disant juste « posé » pour me tranquilliser. Quand il quittait le hangar, je savais combien de temps il mettait pour arriver à la maison. Olivier était toujours à l’heure ! Quand il disait je serai là à 19h03 il s’arrangeait pour être là à 19h03. Ce soir il était en retard. J’ai immédiatement su que c’était grave. J’ai appelé la gendarmerie après lui avoir envoyé un sms resté sans réponse. La gendarmerie n’a pas répondu à mes questions. Je me suis alors connectée sur le net pour consulter la webcam de l’aérodrome et là j’ai vu une ambulance. Et je savais que c’était pour lui… Je me suis dit qu’il était en train d’être soigné. Le pire n’était même pas imaginable. Je téléphonais aux personnes susceptibles d’être là mais personne ne me répondait. Finalement le mécanicien de l’avion de mon mari m’a répondu que oui il était parti mais que personne ne l’avait vu revenir avec son avion. Mais cette personne avait une façon de parler qui n’était pas normale… Une autre personne, le pilote propriétaire du hangar, m’a ensuite appelée pour m’annoncer qu’Olivier avait eu un accident et qu’il était décédé. J’étais seule et le monde s’écroulait… Je ne pleurais pas… Tétanisée… Les gendarmes sont finalement arrivés pour m’annoncer cette nouvelle que je connaissais déjà… Ma voisine était avec eux… Je devenais folle et ne cessais de répéter que c’était impossible… IMPOSSIBLE IMPOSSIBLE IMPOSSIBLE J’étais immédiatement confrontée à la réalité, les policiers me parlant d’enquête et me donnant le numéro des pompes funèbres…On m’a proposé d’appeler quelqu’un de ma famille. Olivier était tout pour moi… Je n’ai personne… Mes parents ? Qu’est-ˇce que je vais leur dire ? Je pense à ma soeur aînée mais je suis incapable de l’appeler. Les gendarmes le font pour moi… Elle met du temps à arriver et moi je n’ai plus la notion du temps… Elle pleure et je lui dis de ne pas pleurer. Je ne me sens pas bien. On fait venir un médecin qui m’administre un décontractant musculaire. Puis c’est le black-ˇout. Je me rappelle juste que ma soeur et moi avons dormi ensemble. J’avais envie de mourir tout de suite et j’avais envie de mourir pendant des semaines. J’aurais dû venir avec lui, j’aurais voulu mourir avec lui. Je ne sais pas où j’ai trouvé la force et le courage aujourd’hui… Ne serait-ce que conduire… Je n’avais pas roulé pendant 15 ans et je détestais ça. C’est Olivier qui conduisait… J’ai vendu la voiture d’Olivier tout de suite, sa vue m’était insupportable… Réapprendre à conduire… Comment j’ai fait ça ? J’ai dû racheter une voiture et quand je l’ai vue je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette… Je l’ai tamponnée à deux reprises mais là c’est bon… J’aurais pu sombrer et au lieu de ça je me suis retrouvée à faire des choses. Quand Olivier partait en voyages ne serait-ce que deux jours j’étais paumée. Je pense avoir trouvé la force dans l’amour que nous avons partagé. Je me suis dit que s’il me voyait il serait fier de moi. Je me suis mise au piano, à la céramique, je me suis essayée à rester dans la vie. Quand j’étais invitée j’y allais, même si j’avais envie de mourir… J’étais face à un choix. Soit mourir et j’avais cherché sur internet les moyens d’y parvenir sans trouver LA solution toute faite pour y parvenir, soit vivre et là si j’optais pour elle, je me devais de le faire à 100% pour Olivier, pour lui… Quand la souffrance est insupportable, la mort semble être une délivrance. Mais quelque chose en nous est plus fort, on est plus forts que l’on ne le pense… J’ai pris le parti de vivre ! Le matin quand je pars travailler je vois la vie et elle est belle… Avec Olivier on disait toujours « il n’y a rien de grave à part la maladie et la mort » sauf que quand ça t’arrive tu en fais quoi de cette phrase ? Aujourd’hui je n’ai peur de rien car rien de grave ne peut plus m’arriver. Chaque jour est un cadeau…


IMPASSE DE C.


Je suis entré dans la chapelle avant le début de la cérémonie, pour lui rendre hommage. Je me suis dirigé vers le cercueil, sans réfléchir, sans faire attention à ce qui m'entourait. Je me souviens du cercueil, que j'ai dû choisir avec maman. Une gerbe de fleurs avait été déposée dessus. J'avais réussi à me calmer un peu, j'allais la voir une dernière fois pour lui dire au revoir. Mais je n'ai pas pu, j'ai fait demi-tour et je suis sorti de la chapelle, effondré. Je ne pouvais pas concevoir qu'elle soit dans cette vulgaire boite. Ma grand-mère, enfermée ! C'était insoutenable, je ne supportais pas cette image. Je ne supportais pas qu'elle soit si loin de moi. La cérémonie a commencé, sans maman et moi. Nous étions sur un banc dehors, il faisait beau et je pleurais.


IMPASSE DE P.


Mon fils, ma fierté… Une décision importante et radicale allait changer nos vies mais nous étions mûrs. Nous avions envie d’un mini nous, d’un petit être qui permettrait d’écrire un nouveau chapitre de notre vie. En octobre 2001, j’ai commencé à me sentir bizarre et aucune semaine « rouge » à l’horizon : pas de règles arrivant comme un bourreau. Je décide de faire un test de grossesse. J’effectue seule mon test et là… je réalise… J’ai d’abord cru que je m’étais trompée, que j’avais mal fait le test… Mais non. Joie, j’ai les larmes aux yeux. Lors du déjeuner, je donne le test au papa qui lui non plus ne réalise pas. Puis prise de sang et échographie pour confirmer. Petit à petit le bidon grossit de plus en plus mais ma grossesse reste agréable à supporter. L’annonce à la famille, aux amis… Les vergetures apparaissent, les rendez-vous, les prises de sang se succèdent. Un mois, deux mois, 3 mois, 9 mois… Et puis vient le jour où tu sais quec’est le Grand Jour. Je suis folle de joie. Nous arrivons à l’hôpital et on nous annonce que le travail a bien commencé. J’ai droit à la péridurale et on me dit que mon accouchement sera un « accouchement de rêve ». Allez c’est parti !!! Je me mets à pousser, la douleur est gérable, la sage-femme me motive et finit par me dire « Je vois les cheveux ! ». Youpi !!! Après, après… La tête n’avance pas… ça ne va pas…La sage-ˇfemme décide d’utiliser la ventouse (mais c’est quoi au juste ?) A cet instant précis, je perds mon sourire, ma joie et m’effondre quand je constate qu’ils décident d’utiliser des forceps. La sage-femme appuie comme une dingue sur mon ventre… L’horreur… Puis mon bébé sort mais aucun son, aucun cri… L’horreur… Je vois enfin une jambe, son bras s’agite. Il vit ! Je dis au papa d’aller votre notre petit nous pour s’assurer de sa bonne santé. Je reste seule dans la salle d’accouchement avec pour seule compagnie l’odeur du sang. Et je vois, je ne sens pas, une obstétricienne en train de me recoudre sans un mot de réconfort ou d’explication. On me ramène dans ma chambre et on me ramène mon bébé. Je le touche mais on me le retire aussitôt… En m’expliquant que je suis trop faible pour le garder la nuit. Le lendemain on me ramène Louis, mon fils, mon enfant, et je m’interroge : que dois-je faire ? La réponse tombe aussitôt : « Voilà votre fils, il est à vous ». Je fonds en larmes mais suis si heureuse de le sentir enfin contre moi. Et je me dis « mon Dieu c’est moi qui ai façonné la vie de ce petit bout ». Le début d’une nouvelle vie…


IMPASSE DE H.


L’environnement : on est grosso modo à mon 20ème anniversaire. Je suis à la fac depuis deux ans. J’ai fait ma 2ème année d’éco et là : quelle orientation faire par la suite ? Il n’y a pas grand- chose qui me booste. Pourquoi je suis à Clermont ? parce qu’est une bonne fac et puis ça a été celle qui m’offrait le plus d’ouverture par la suite. Donc on est là, courant de l’hiver, on révise on prépare ses partiels pour janvier et là j’ai le téléphone qui retentit un dimanche soir où j’ai regagné mon foyer d’étudiant sur Clermont. En ligne : un de mes meilleurs amis qui me dit un peu précipitamment sans me demander comment je vais etc. : « choisis une ville ! ». J’essaie de savoir pourquoi et rien ! A chacune de mes question la réponse est la même : « choisis une ville ! » mais pourquoi ? « Choisis une ville ! Choisis une ville ! » Illico presto je lui sors une vile mais sans plus de réflexion que ça et je lui dis : San Francisco. Il me dit parfait ça va ! on essaie de s’organiser pour que cet été on passe un mois et demi là-bas ! j’aurais pu choisir n’importe quelle ville mais j’imagine que celle-ci me convenait parfaitement. Et donc du coup on s’est organisé pour travailler un petit bout de temps en usine pour payer le voyage, l’hébergement etc.… Moi j’étais étudiant et lui aussi il était sur Lyon en train de faire une formation en économie. On s’organise donc pour partir et on part à San Francisco mais pour quoi faire à San Francisco, aucune idée, pas d’idée plus que ça. Par la suite je me dis pourquoi San Francisco ? Parce que ça a l’air d’être une ville assez ouverte, il y a des étudiants, une silicon valley, ça m’intéresse finalement de savoir comment ça fonctionne là-bas et comment fonctionnent les jeunes là-bas. On essaie de prendre contact avec des universités sur place mais bon on est du tout dans le même niveau. Donc nos fac ne sont pas réputées. A l’époque il n’y avait pas non plus les accordsentre les universités. Pas un souci pour nous. On prend notre billet, et nous voilà partis…On fait comme tout bon étudiant : on réserve une chambre d’hôtel pour le jour où on arrive et puis une fois sur place on verra bien ce qui se passe. On découvre pas mal de choses. Moi à part ClermontFerrand je n’étais allé nulle part. Quand on est partis évidemment il a fallu aller prendre l’avion à Paris et c’est là que j’ai découvert les Parisiens qui étaient super speed. Il fallait courir avec eux pour entendre la réponse aux questions qu’on leur posait. Où est l’aéroport ? Quelle ligne de métro il faut prendre ? On arrive à SF, les gens sont complètement détendus, tu ouvres une carte, des passants s’arrêtent pour te demander s’ils peuvent t’aider, ils t’accompagnent même un bout de chemin pour te guider. Une autre ouverture d’esprit et tout le voyage a été comme ça… On a un peu vagabondé là-ˇbas. Dans les universités comme c’était l’été tu n’en trouves pas des tonnes d’étudiants. Donc on a mis des mots partout dans différentes facs en se présentant un peu. A notre retour il y a des personnes qui nous ont contacté. Notre développement s’est fait comme ça. C’est en rentrant que pour moi ce voyage avait changé beaucoup les choses… Parce qu’en rentrant ma vie était devenue beaucoup plus ouverte, mon esprit aussi et mes réflexions que je pouvais avoir avant étaient très binaires et très limitées… Là il n’y avait plus de limites, tout était ouvert, tout était possible… ça m’a ouvert complètement le monde et ce qui m’a permis aussi l’année suivante de faire une 2ème maîtrise, pas aux US parce que l’accord entre fac était difficile, mais au Canada. J’ai fait une année là-ˇbas. Mais sur le principe de base en rentrant déjà je ne supportais plus les barrières sur les jardins, sur les terrasses, ces cloisonnements d’une maison à une autre. Je ne voyais que des difficultés en France où on se fermait avec son voisin, on mettait des barrières là où on pouvait en mettre et s’il n’y en avait pas on en créait une. Alors que de l’autre côté, ce n’était pas le cas… Tout était ouvert. Les voisins n’avaient pas de clôture, on pouvait aller chez le voisin et ça ne dérangeait personne. C’est dans ce domaine que ça m’a ouvert une possibilité et ce qui a construit la suite des évènements… Je suis resté à la fac en éco, dans un esprit cartésien, mais très vite j’ai bifurqué. Par la suite j’ai arrêté la fac parce que je n’en pouvais plus, il fallait absolument que je vois le monde tel qu’il était. J‘ai donc travaillé et c’est après que j’ai vu qu’il me manquait quelques éléments et c’est à ce moment que j’ai repris les études. Si je n’avais pas fait ce voyage là je serai devenu un crétin pas fini…. J’avais des oeillères partout et j’étais ouvert à rien du tout… Pourquoi mon ami m’a posé cette question à ce moment-là je n’ai pas eu de réponse mais je n’ai jamais vraiment cherché non plus par la suite… J’ai pris ce qui venait … On n’a jamais reparlé du pourquoi… Cette situation qui à la base me semblait une impasse a été une révélation sur qui j’étais, ce que je voulais, comment j’appréhendais les autres, comment je pouvais les comprendre et pas uniquement les comprendre par rapport à leurs mots ou à leur attitude mais un langage non verbal que j’ai appris par la suite surtout avec un peuple que tu ne connais pas, ni leur langue, ni leurs coutumes… Il a fallu que je m’adapte mais en m’adaptant j’ai découvert beaucoup de choses…


IMPASSE DE S.


Il y a quelques années, j’étais avec mon ancien compagnon qui avait de gros problèmes psychologiques, il était bipolaire. Et également alcoolique. Je vivais avec cet homme une relation très fusionnelle et passionnelle. J’aimais cet homme. Je vivais tout à travers lui, des bonheurs extrêmes comme des souffrances extrêmes. Nous pouvions passer des nuits entières à parler, à philosopher, à faire l’amour, tout comme des nuits entières à nous disputer violemment à tel point que je devais m’enfermer dans la salle de bains en bloquant la porte pour me protéger. Je vivais des montagnes russes avec lui. Je ressentais des émotions très positives tout comme de la terreur. Je ne pouvais pas imaginer le quitter car je savais que j’étais tout pour lui et lui ne pouvait pas vivre sans moi. A travers ses besoins j’existais et j’avais besoin de lui pour exister. J’étais son amante, sa mère, sa soeur, sa psy, sa dépendance sexuelle… Un jour j’ai pris conscience que la vie que je vivais était impossible, que je m’enterrais vivante avec lui… Je vivais des choses trop intenses, trop irréelles et à chaque instant je voyais un désastre à cause de sa violence. Un jour j’ai eu le courage de lui dire qu’il fallait que je m’éloigne… Heureusement une amie a proposé de m’héberger et grâce à elle j’ai pu revenir un peu à la normalité. Mais aux yeux de mon compagnon j’étais sa dépendance et il ne pouvait pas supporter de ne pas me voir. Quand je sortais du travail, il m’attendait, amaigri, affaibli, pour essayer de me faire revenir auprès de lui. Un jour j’ai cédé à son appel et je suis retournée le voir. Comme un dernier au revoir nous avons fait l’amour une dernière fois. Pour moi c’était la dernière fois, pour lui c’était de l’espoir… Je savais qu’il ne fallait pas que je replonge. J’ai donc pris toutes les mesures pour lui faire clairement comprendre que c’était terminé. Désespéré il a sombré encore plus dans l’alcool. Un jour il m’a envoyé des messages désespérés m’informant qu’il a fait une tentative de suicide. N’étant pas insensible, j’ai accouru dans notre ancien appartement et je l’ai découvert dans la salle de bains, des couteaux autour de lui et le flexible de douche enserrant son cou. Ne sachant pas s’il était mort ou vivant et n’osant pas le savoir, j’ai téléphoné aux secours. Quand ils sont arrivés je leur ai expliqué la situation afin de les prévenir de cette violence qui habitait cet homme, avant de partir me cacher chez un voisin qui m’a permis de veiller à distance sur mon ancien compagnon par une fenêtre… Quelques jours après, j’ai été contactée par les services de l’hôpital qui l’ont annoncé qu’il fallait l’interner… Ne souhaitant pas être à l’origine de cette décision, j’ai appelé les parents de mon ancien compagnon afin de leur expliquer toute l’histoire… Ils m’ont répondu une phrase que je ne pourrai jamais oublier : « Merci d’avoir pris le relais pendant toutes ces années… »


IMPASSE DE S.


Se retrouver avec une personne du même sexe et se poser des questions : est-ce qu’on arrivera à vivre et à satisfaire quelqu’un dans une vie complexe à deux. Au départ tu te dis qu’un homme et une femme vont vivre ensemble et puis finalement ça ne se passe pas comme ça. Tu te poses des questions et tu réfléchis et tu te dis est-ce qu’il faut franchir le pas ? et puis tu le franchis. Puis tu rencontres des gens qui sont dans la même impasse que toi et finalement tu te dis que ce n’est finalement pas si dangereux et cruel que ça. Et tu décides de la vivre, tu rencontres d’autres personnes en face et c’est comme une alchimie, une étincelle et tu as une relation pas forcément sexuelle mais intellectuelle et là c’est super enrichissant. Tu avances dans une connaissance qui est pas forcément compliqué. C’est super simple… Parce que tu as rencontré les bonnes personnes. Quand tu abordes le sujet de l’homosexualité, tu te dis que tu n’es pas le seul et qu’il y en a plein d’autres en face de toi et tu discutes et tu n’as pas le tabou et tu te sens libéré et là tu peux être en fait sur un esprit en paix. Mon impasse était de me retrouver face à un autre moi-ˇmême, à un sexe identique… Qu’’est ce qui se passe en moi, quel rapport je vais avoir avec cette personne. Jusqu’à ce que je me rende compte, en rencontrant d’autres gens qui étaient dans cette même impasse que finalement ce n’en est pas une…


IMPASSE DE S.


Qu’est- ce qu’être quand on ne sait pas d’où on vient ? Peut-on être quelqu’un quand on ne connaît pas l’un de ses parents ? Quand on a grandi sans père ? Quand on a poussé sans « re-père » ? Quand on ne connaît pas l’origine de son nombril ou plutôt la moitié de son origine, quand on ne sait pas comment bien aimer et si on a le droit de s’aimer, quand on a l’impression même à presque 40 ans de ne pas être finie, quand on a peur de mal faire, quand on ne comprend pas, quand on est dans un murmure perpétuel tellement assourdissant qu’on se noie dans du sable en rêve chaque nuit, dévorée par les éléments. Une asphyxie… Quand il faut faire semblant d’être forte parce que sa maman avait besoin de ce faux semblant pour survivre et qu’il ne fallait pas qu’elle soit accablée davantage… et qu’elle-même était dans l’apparence, tel un fantôme… Donner à l’autre peu importe le prix, ne pas penser à soi… Nous avancions masquées l’une et l’autre avec une fêlure bien visible… Bancales toutes deux mais l’une contre l’autre donc debout, l’une pour l’autre… Oui debout envers et contre tout ! C’est ce que je retiens d’elle, ce qu’elle m’a transmis et ce n’est pas rien… Qu’est-ce que la vie ? Qui suis-je ? Où je vais ? Qu’est-ce que je veux faire ? Suis-je grande, adulte, vraiment ? C’est quoi un homme ? Comment aimer un homme et me faire aimer ? Où vont les souvenirs ? Où sont mes souvenirs ? Où vont les mots que l’on ne dit pas ? Pourquoi la colère me saisit en haut le coeur ? Pourquoi je suis moi et les autres pas ? Je sais que je vais mourir comme tout le monde… Je le sais depuis mes 3 ans… Ce n’est pas ça qui m’effrayait et pas encore davantage aujourd’hui… Mais qui suis-je… Une impasse dans laquelle je m’enfermais, telle une solitude désolée où régnait le blizzard… Telles étaient mes questions qui ressurgissent encore à l’occasion… Trois rencontres successives m’ont grandement orientée et apaisée… La première, un jalon de diamant dans ma vie, la plus importante, celui qui est devenu mon frère d’âme et d’armes. Il m’a fait prendre conscience de ma valeur et m’a aidée à aller en avant, à voir le présent et à le vivre intensément, à regarder droit devant… Nous étions mari et femme durant de très nombreuses années avant que je ne le libère de sa prison en lui rendant les clefs, et de son masque à lui aussi et par-delà du mien… Je ne le remercierai jamais assez pour ce qu’il m’apporte, donne, fait comprendre sur moi, sur les autres… Malgré ses propres démons… Un incroyable jumeau… Tous les jours présent… La deuxième, au détour d’un hasard qui n’en est pas un à bien y réfléchir puisque je l’ai choisie délibérément… J’ai trouvé une soeur… Qui me raisonne lorsque je déraisonne… Même parcours… Une fusion volcanique nous habite… Elle est une éclaireuse, mon éclaireuse… Un équilibre… La troisième, une personne qui est loin de soupçonner la mesure de la place qu’elle prend dans ma vie. Qui me pousse au bout de mes rêves, qui m’accorde la liberté d’être, qui me fait comprendre que j’ai le droit de penser à moi, qui m’habite, qui me prend telle que je suis sans masque ni faux semblant, qui me fait toucher mon âme... Il est une lumière diffuse qui est douce et toujours maîtrisée… La lumière dans la forêt… Il m’illumine et ne s’en doute pas… Ces jalons, ces rencontres m’ont fait comprendre que le plus important n’est pas ce que je suis mais ce que j’ai choisi d’être… Grâce à ces personnes et à d’autres que je n’ai pas citées et d’autres que je n’ai pas encore rencontrées, je me rencontre chaque jour davantage et je pousse grâce à eux, grâce à vous… Je suis toujours debout face à la vie ! Il est possible à chacun de faire face à sa vie peu importe la nature et la taille de sa geôle, peu importe les démons qui habitent en chacun de nous … Je le sais maintenant… Je ne sais toujours pas où je vais mais j’y vais et je n’ai plus peur ni froid…


IMPASSE DE V.


Gosse timide, introverti et complexé, je ne me sentais pas à l’aise, je ne me reconnaissais pas en ces garçons sûrs d’eux, plus masculins, capables d’envoyer un ballon dans un but. Je restais alors dans mon coin à rêver, m’évadant dans un monde issu de mon imaginaire. Je ne me sentais pas à ma place à l’école. La seule matière où j’excellais était les arts plastiques, qui me permettaient de m’exprimer. Les enseignants avaient cerné ce potentiel, mais mes parents considéraient, à tort ou à raison, que l’on ne pouvait pas vivre de l’art, et qu’il me fallait un métier plus concret. Agé de douze, ils m’ont expliqué qu’ils n’avaient plus les moyens de subvenir à mes besoins, et dans la mesure où l’école n’était pas mon élément, ils m’ont fait comprendre que j’allais devoir me débrouiller tout seul, et travailler pour subvenir à mes besoins. De toute manière, d’autres événements de mon enfance m’avaient déjà fait comprendre la nécessité de ne compter que sur moi-même. De fait, même si à douze ans, se retrouver seul pouvait s’apparenter à une impasse, je ne me suis pas laissé impressionner par la situation. Je suis allé travailler dans les bistrots du village, faisant la plonge ou l’épluchage des pommes de terre, jusqu’à ce que ma situation me permette d’entrer en pré-apprentissage. De formation de serveur, ça n’avait que le nom. Je travaillais de 8h à minuit, me sentant plus esclave qu’employé, me conduisant à l’épuisement total. Toutefois, tout cela m’a appris la valeur du travail, la nécessité de se battre pour vivre. De fil en aiguille, j’ai accumulé les expériences dans la restauration et l’hôtellerie de luxe, travaillant dur et parfaisant ma formation, notamment dans la cuisine, jusqu’à pouvoir ouvrir mon propre restaurant. Finalement, c’est à presque 40 ans, que j’ai pu revenir à mes amours premiers, prenant des cours avec une peintre réputée, et m’exprimant dans mes propres oeuvres. Aujourd’hui, je peux m’épanouir dans ma peinture, qui connait même un certain succès.